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Random Access Memory, labyrinthe, dédale, cour des miracles, souk, bazar, mélange de peurs, d’enchantements, et tutti quanti.

A force de voir mes proches s’en aller, ou n’être jamais venus, je donne des prénoms à mes objets quand je leur parle.

A force de voir mes proches s’en aller, ou n’être jamais venus, je donne des prénoms à mes objets quand je leur parle.

Napthaline

 

Ici, l’odeur de la naphtaline était si forte qu’on ne distinguait plus celle de la transpiration. Les manteaux, les lainages, les pelisses, semblaient sortir tout droit d’un antique théâtre. La maison n’était plus qu’un décor, les murs en carton-pâte soulignaient la fragilité de la propriété humaine. On avait envie, devant un tel spectacle, de se dépouiller de ses biens. (Pour dire cette braise qui s’amenuise, le rouge ne serait-il pas toujours trop rouge, le plomb trop lourd, la page trop présente?) Les objets de la maison, sinon qu’ils avaient par endroits volé en éclats, restaient indifférents aux événements. Un costume devient-il un cadavre de costume quand l’absent le déserte? L’enterre-t-on? L’inhume-t-on? Va-t-on, chaque année, porter des fleurs sur sa tombe? Cette poupée, ce dentier, ce tablier, cette corbeille à papiers, ce peigne, ce préservatif, cette paire de draps, faut-il que nous les embaumions comme les autres corps? Cette pomme à demi croquée? Cette photographie où éclate l’avant, quand on se voit déjà dans l’après? Ces traces de pas dans la poussière, le passage du chat, scellé dans le ciment? Ce suaire, imprégné de liqueur humaine? Cette brosse à dents usée, ce parapluie désarticulé, cette tasse qui porte une trace de rouge à lèvres? Non, n’est-ce pas, ces choses-là ne mouraient pas. Dépossédés de leurs propriétaires, les objets devenaient impersonnels. Ils affichaient une évidente indifférence au malheur des hommes qui les avaient acquis, adorés, collectionnés, protégés de l’usure et du vol. On avait envie de les condamner pour ce manque de commisération. Ils allaient être vendus, bradés, troqués, entrer dans d’autres maisons, soutenir d’autres illusions, servir d’appui à de nouvelles existences! Une deuxième vie les attendait quelque part, d’autres propriétaires les enfermeraient dans leurs odeurs. Ils ne se posaient pas de questions. Cela ne les tracassait guère.

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